Galerie St Eustache
Frédy Kocher
La petite île de Sint Eustatius, Saint-Eustache en français, affectueusement appelée Statia par ses habitants, a été découverte en 1493 par Christophe Colomb. Elle fut d’abord occupée par les Espagnols, puis alternativement par les Anglais, les Français et les Hollandais. En 80 ans de guerre, elle a changé 22 fois de nationalité pour devenir définitivement hollandaise en 1816, dans le cadre des Antilles Néerlandaises.
On raconte un épisode cocasse de cet interminable conflit qui permit aux Français de ravir le fort d’Oranjestad, la capitale, aux Anglais. En effet cette place forte a été construite sur un surplomb permettant ainsi de surveiller une vaste baie, seul accès sûr de l’île, et de canarder tout navire ennemi en approche. Les Français accostèrent audacieusement à l’extrémité de l’île hors de vue des Anglais et s’approchèrent silencieusement, à travers la forêt. Il leur suffit alors d’attendre que leurs ennemis quittent le fort pour leur jogging matinal traditionnel… avant d’intégrer les lieux et d’en fermer l’accès sans tirer un seul coup de feu. Les Anglais, penauds, eurent juste le temps d’embarquer dans leurs navires à l’ancre pour s’enfuir honteusement… !
Saint-Eustache est actuellement une commune néerlandaise (Territoires Néerlandais d’Outre-Mer) depuis 2010 et jouit d’un statut particulier, comme Saba et Sint-Martin, situés dans les Iles-du-Vent.
St-Eustache compte 3000 habitants environ, souriants, charmants, débonnaires, saluant toute personne croisée, connue ou étrangère. Ici, le temps semble avoir suspendu son vol. Le tourisme reste embryonnaire car la volonté des Eustachois est rebelle à l’idée du tourisme de masse. L’île ne compte que 80 lits pour accueillir ses hôtes!
Pourtant, aux 17ème et 18ème siècles, l’activité sur l’île était florissante, due principalement au commerce des esclaves et au trafic d’armes. Il est émouvant de fouler les pavés de la rue que tous les esclaves ont gravie pour monter à Oranjestad. De nombreuses fortunes se sont ainsi bâties sur la misère humaine, mais aussi sur le commerce du sucre, du tabac et du coton. On l’appelait le « Golden Rock ». Elle a alors compté jusqu’à 20 000 habitants. Chaque année 3500 bateaux faisaient escale dans sa baie abritée.
Au 17ème siècle, la Dutch East Indian Company utilisait, comme monnaie d’échange de par le monde, des perles hexagonales de verre bleu, les fameux « blue beads ». Elles servaient aussi à récompenser des esclaves méritants. La légende raconte qu’à leur affranchissement il y a 350 ans, ceux-ci les auraient jetées à la mer pour fêter leur liberté. En plongée, on peut encore en trouver sur le site « Blue Bead Hole » ou, en promenade, le long du rivage.
L’île de Saint-Eustache couvre 21 km2. Elle est dominée à son extrémité Sud par le volcan inactif « The Quill », culminant à 602 m, et à son extrémité Nord par le volcan éteint « Boven ». Ces montagnes sont des réserves naturelles gérées par la Stenapa - fondation non gouvernementale vouée à la protection de la nature, créée en 1988 - qui gère également le « Parc Marin National ». L’ascension de Quill est magnifique, gare cependant à l’étourdi qui n’aurait pas prévu un ravitaillement suffisant en liquides ! Bien que le climat soit tropical sec, l’humidité et la chaleur dans la forêt sont élevées et la transpiration abondante. Au retour, une halte dans le jardin botanique « Miriam C. Schmidt » s’impose. Sur le chemin, on rencontre de nombreux bernard-l’hermite, des oiseaux, parfois des serpents inoffensifs. Des arbres rouges, appelés flamboyants (Delonix regia), et des orchidées égayent la forêt.
Les fonds marins sont protégés depuis 1997 sur tout le pourtour de l’île jusqu’à une profondeur de 30 m. Jusqu’à cette limite ils forment un plateau, puis plongent abruptement à plus de 600 m. Ils sont striés de coulées de lave dessinant des paysages fascinants, dont le fameux « Grand Canyon ». Les blocs et les jardins coralliens sont luxuriants, magnifiques et en pleine progression depuis la création du parc marin. L’ancrage des bateaux est possible sur des bouées à demeure soigneusement entretenues, mais autorisé à la condition d’une seule embarcation à la fois. La pêche, strictement réglementée, est artisanale. Environ 700 plongeurs visitent les lieux chaque année.
On estime à 200 le nombre des épaves jonchant les fonds, la plupart datant de l’âge d’or de l’île. Deux grands navires en fin de service ont récemment été immergés pour servir de refuge à la flore et à la faune. Le « Charles L. Brown », l’un des plus grands des Caraïbes, un câblier de 100 m, a été coulé en 2003. Il repose à 30 m de fond sur son flanc bâbord. Le second, le « Chien Tong », un chalutier taiwanais de 52 m, richement colonisé, est le gîte nocturne préféré des tortues, notamment de l’espèce verte, d’une grande beauté. Il a été immergé en 2004. Il recèle des trésors de vie.